Un peuple n’a d’avenir que s’il sait entretenir et transmettre le meilleur de sa mémoire collective. Au moment où Nelson Mandela prend une place de choix dans le panthéon des dignes fils et filles d’Afrique, il y a lieu de se demander comment perpétuer et transmettre son exemple de génération en génération. Parmi ses plus grands ancêtres l’Afrique a désormais Mandela dont le récit de vie devrait devenir pour tout Africain la « bible » du combat pour la liberté et la dignité humaine. Son combat était certes circonscrit au contexte sud-africain, mais les leçons à en tirer ont une portée universelle. A cet effet, il convient de faire un plaidoyer à l’échelle continentale pour que l’autobiographie de Mandela, Un Long Chemin Vers La Liberté, soit inscrite au programme scolaire de chaque pays africain. Chaque Africain devrait lire ce récit au moins une fois dans sa vie, et pas seulement pour se distraire. Pourquoi ?

Premièrement, c’est le monde entier qui, presque à l’unanimité, rend hommage à ce digne fils d’Afrique. Pour une fois dans l’histoire récente, l’Afrique a fait la une des médias dans le monde non pas à cause de la pauvreté, du SIDA ou des guerres fratricides, mais bien à cause de l’un de ses fils dont presque le monde entier salue l’humanisme. De ce point de vue Mandela est un saint du peuple africain, pour la simple raison qu’un saint n’est pas celui dont la vie n’a pas connu d’ombres ; une telle créature humaine n’existe pas sur la terre des hommes et des femmes. Mais un saint c’est quelqu’un qu’une communauté dresse comme modèle pour les générations présentes et à venir parce que la lumière de sa vie à tellement brillé qu’elle a éclipsé ses ombres, parce qu’il a incarné de manière singulière ses valeurs. Et c’est le cas de Nelson Mandela. En effet, dans le ciel assombri de l’Afrique, l’étoile de Nelson Mandela brille de manière singulière et il convient que l’Afrique prenne toutes les dispositions pour que cette étoile en engendre d’autres.

Deuxièmement, l’Afrique connait une telle crise de modèles et de leadership que pour une fois qu’on en a à l’échelle continentale, voire mondiale, il faut les canoniser et les momifier pour les générations futures. Il est souvent reproché aux Africains, et avec raison, de négliger leur mémoire collective, et c’est peut-être à cause de cette amnésie collective que qu’elle répète si souvent les mêmes erreurs et peine à sortir du cercle vicieux de l’indignité collective. Les jeunes ont besoin de modèles car les exemples inspirent mieux que les beaux discours et les belles pages. Au-delà du flot d’allocutions, de larmes, d’émotions qui alimentent des hommages bien mérités par ce défenseur irréductible de la liberté et de la dignité humaine, le meilleur hommage que l’Afrique peut rendre à Nelson Mandela qui incarne singulièrement sa dignité est de perpétuer sa mémoire de génération en génération.

Troisièmement, le récit autobiographique de Mandela est pratiquement un traité de résistance à l’injustice et à l’oppression qui met en exergue les exigences d’un vrai combat pour la liberté. C’est la relecture d’un chemin parcouru qui peut inspirer d’autres combats et semer dans l’âme des plus jeunes la semence de la résistance. On y apprend qu’on ne nait pas résistant, on le devient en s’engageant concrètement pour une cause et en prenant les risques. On y apprend que le combat pour la liberté n’est pas une aventure solitaire mais nécessite des synergies voire un certain sens de la solidarité. On y apprend qu’un vrai héros de la liberté doit être prêt à faire d’énormes sacrifices et à se laisser entièrement dévorer par son rêve pour que la lutte soit féconde. Cette dimension du sacrifice, de l’abnégation, de l’oubli de soi pour les autres est commune à tous les combattants qui ont marqué l’histoire de l’humanité. Mandela, comme beaucoup de ses compagnons de lutte, a sacrifié sa carrière, sa famille, sa liberté, etc. pour que le combat contre l’apartheid porte enfin du fruit. On y apprend en outre que le combat pour la liberté est un long chemin parsemé d’embûches qui demande de la patience et du courage. Il s’inscrit dans la durée et se transmet de génération en génération. Il faut toujours être prêt à mourir sans voir la réalisation complète de son rêve mais avec la confiance que d’autres prendront la relève, d’où l’importance de la dynamique collective. On y apprend surtout que l’amour est plus fort que la vengeance, qu’on peut mettre ses blessures au service de la réconciliation et de la guérison de tout un peuple. Les souffrances et sacrifices de Mandela et de ses compagnons de lutte sont devenus une source de réconciliation pour le peuple sud-africain et une source d’espérance pour toute l’Afrique. En privilégiant la paix à la violence, le pardon et la réconciliation à la vengeance, l’amour à la haine, Mandela et autres ont fait triompher les forces de la vie là où menaçaient de régner les celles de la mort.

Quatrièmement ce que Mandela a fait pour l’Afrique du Sud, chacun doit essayer de le faire partout où la dignité humaine est menacée. Maintenant que le Baobab est tombé, vivement que tout autour émergent de jeunes pousses incarnant son esprit pour poursuivre le combat. Mais cela n’arrivera pas magiquement. Il faut faire boire les jeunes générations africaines aux sources de l’espérance, il convient que chacun lise au moins une fois dans sa vie l’autobiographie de Nelson Mandela. Pour les y encourager de manière formelle, il convient de l’inscrire aux programmes scolaires et former des enseignants pour guider les jeunes dans la lecture de ce récit à vivre comme un parcours initiatique. Il faut ensuite les encourager à s’engager concrètement pour l’une ou l’autre cause qui donne un sens à la vie humaine. Si nous ne le faisons pas, la mémoire de Mandela tombera d’ici peu dans l’oubli et bien évidemment le cercle vicieux de l’indignité collective continuera.

Cinquièmement le combat pour la dignité de tout homme et toute femme en Afrique est loin d’être terminé. La mort de Mandela a coïncidé ironiquement avec la tenue d’un autre sommet France-Afrique où, après plus de cinquante ans d’indépendance, des chefs d’Etats africains sont allés comme des gamins se faire sermonner par la France sur la nécessité pour eux de prendre en main leur sécurité. Ils devraient avoir honte de prononcer le nom de Mandela. L’évocation de Mandela à ce sommet constitue un véritable blasphème, une véritable profanation, car ce théâtre ne lui ressemble pas. Après l’intervention française au Mali, c’est aujourd’hui le tour de la République centrafricaine.

Quelles irresponsabilité et déchéance collectives ! Quel déficit de leadership continental ! A quand la fin de cette théâtralisation de l’indignité ? Nous ne briserons ce cercle vicieux qu’en créant des conditions favorables à l’émergence d’autres Mandela. S’il ne renait qu’un seul par pays et par siècle l’Afrique fera de grands pas vers la dignité.

La vie et l’œuvre de Mandela nous montrent donc le chemin de la liberté, un long et difficile chemin que chaque peuple doit s’organiser pour parcourir en puisant dans sa mémoire collective et en se laissant guider par ses fils et filles les plus inspirées, prêts à s’oublier pour donner la vie aux autres. Comme le dit un versé biblique, « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Il revient aux gouvernants africains de faciliter l’inscription de l’autobiographie de Mandela au programme scolaire de chaque pays africain pour favoriser la naissance d’une nouvelle génération de résistants. Un plaidoyer devrait être initié à cet effet à l’échelle continentale. Mais en attendant, chaque parent peut tout au moins prendre la responsabilité d’acquérir une copie de cette « bible » du combat africain pour sa famille et ses enfants. N’est-ce pas le meilleur hommage que l’Afrique peut rentre à Mandela ?

P. Ludovic Lado, jésuite
Abidjan, Côte d’Ivoire


source: africapresse.com

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